Pendant longtemps, le « mainlining » n’a été qu’une astuce de cultivateurs passionnés, transmise sur les forums ou les chaînes vidéo spécialisées. Une méthode empirique, fondée davantage sur l’intuition horticole que sur la biologie végétale. Mais à mesure que l’industrie mondiale du cannabis se professionnalise, cette technique a fini par attirer l’attention des chercheurs. Une nouvelle revue scientifique examine désormais le mainlining non comme un bricolage de jardiniers, mais comme une véritable stratégie d’ingénierie végétale, capable de remodeler la physiologie et l’architecture de Cannabis sativa.
Les conclusions redonnent sens à ce que les cultivateurs observent depuis des années : lorsqu’il est réalisé avec précision, le mainlining permet d’obtenir des canopées plus larges, plus stables et plus homogènes, où chaque tête florale bénéficie d’un accès identique à la lumière. Mais jusqu’ici, le fonctionnement intime de cette transformation restait largement méconnu.
D’une expérimentation de cultivateurs à un objet d’étude scientifique
Le mainlining est né de l’ingéniosité d’amateurs éclairés. En répétant une séquence de taille, de ligaturage et d’épuration de la base de la plante, ils ont découvert qu’ils pouvaient convertir la silhouette pyramidale typique du cannabis en une couronne symétrique de branches principales. Cette architecture « en réseau », parfois parfaitement circulaire, donne naissance à une série de colas de taille comparable, alignés horizontalement sous la lumière.
Selon la revue, cette transformation repose sur un processus bien plus complexe qu’un simple « boost » de rendement : il s’agit d’une réécriture profonde du plan de croissance de la plante, impliquant des modifications hormonales, génétiques, et même anatomiques.
Mettre fin au pouvoir du bourgeon principal : comprendre l’apex et la dominance apicale
À l’état naturel, le cannabis adopte une stratégie de croissance verticale. Son bourgeon terminal — le méristème apical — émet des hormones, notamment l’auxine, qui inhibent le développement des bourgeons latéraux. Cette dominance apicale garantit qu’un seul axe central s’impose et monopolise ressources et lumière.
Les sucres produits par les feuilles renforcent cette hiérarchie : ils sont prioritairement dirigés vers la pousse dominante, considérée comme la destination la plus rentable pour l’énergie.
La première taille du mainlining brise cet ordre. En supprimant l’apex, on effondre le flux hormonal qui maintenait les autres bourgeons en dormance. Ces points de croissance latéraux reprennent alors vie, génèrent leurs propres signaux et se disputent le rôle de nouvelle tête principale. Le mainlining répète cette opération de manière contrôlée, créant un nombre précis d’axes symétriques qui évolueront en colas identiques.
Au cœur du méristème : quand la taille redistribue les rôles
Chaque feuille, chaque fleur, chaque tige du cannabis provient d’un minuscule centre de cellules souches appelé méristème apical (SAM). Ce tissu, d’apparence anodine, orchestre la formation continue d’organes tout en préservant un stock permanent de cellules indifférenciées. Des gènes tels que WUSCHEL et CLAVATA assurent l’équilibre entre prolifération et différenciation.
Lorsque le cultivateur coupe l’apex, il élimine le chef d’orchestre de cette symphonie cellulaire. Les méristèmes latéraux, jusqu’alors silencieux, se synchronisent et prennent le relais. La revue montre que cette redistribution du pouvoir contribue à établir une ramification parfaitement symétrique — la signature visuelle du mainlining.
Des tiges plus robustes, une circulation interne renforcée
Les cultivateurs remarquent souvent que les plantes soumises à un entraînement intensif développent des « renflements » à la base des branches, notamment après un pliage ou une taille sévère. La science confirme aujourd’hui ce que l’expérience suggérait déjà : il s’agit d’un renforcement structurel actif.
Après une blessure mécanique, le cannabis active des cellules cambiales et procambiales, responsables de la formation des tissus conducteurs. Le résultat : davantage de xylème et de phloème, une paroi cellulaire secondaire plus épaisse, et une tige capable de supporter une charge florale supérieure. Ce remodelage anatomique explique pourquoi les colas multiples d’une plante mainlinée restent stables, même en fin de floraison.
Construire une canopée optimisée pour la lumière
Le mainlining suit une méthode précise, presque protocolaire :
1. Former le “manifold”
Une première taille au-dessus du 3ᵉ ou 4ᵉ nœud, suivie de la suppression des pousses inférieures pour ne laisser que deux branches principales parfaitement opposées.
2. Étendre les branches
Ces deux axes sont délicatement abaissés et fixés de manière horizontale, exposant toutes les futures pousses à un éclairage identique.
3. Répéter la taille
Chaque nouveau bout est taillé pour doubler le nombre de futurs colas : 2, puis 4, 8, 16, voire davantage selon la vigueur de la plante.
4. Nettoyer la base
Les pousses faibles et les feuilles situées sous la canopée sont retirées régulièrement pour éviter le gaspillage d’énergie.
5. Arrêter le stress avant la floraison
À l’approche du cycle floral, toute nouvelle taille est proscrite. La plante doit alors consacrer l’intégralité de ses ressources à la production de fleurs.
Ce schéma crée une couronne uniforme où chaque cola reçoit la même intensité lumineuse — un avantage essentiel dans les cultures indoor.
Les bénéfices… et les limites
Le mainlining peut améliorer le rendement total, homogénéiser la qualité des fleurs et faciliter la récolte. La revue insiste cependant sur un point : l’enjeu n’est pas de produire des têtes plus grosses individuellement, mais d’allouer les ressources de manière précisément répartie entre des sites producteurs équivalents.
La méthode demande toutefois du temps, une connaissance fine de la physiologie végétale et un sens du timing. Chaque taille augmente le risque d’infection, et certaines variétés — notamment les autoflorissantes ou certains phénotypes de chanvre industriel — tolèrent mal ces stress répétés.
Un domaine où la science n’a pas encore dit son dernier mot
Malgré l’intérêt croissant, le mainlining reste peu étudié. Les chercheurs soulignent plusieurs lacunes :
- Comprendre la reconfiguration exacte des flux hormonaux et sucriers après chaque taille.
- Évaluer les différences de réponse entre les divers génotypes de cannabis.
- Mesurer l’impact du remodelage vasculaire sur le rendement réel.
- Développer des protocoles standardisés pour une industrie en pleine expansion.
À l’heure où le cannabis devient un produit agricole hautement technologique, ces questions pourraient façonner les méthodes de culture de demain.
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FAQ : notions clés
Dominance apicale
Processus par lequel le bourgeon terminal d’une plante inhibe le développement des bourgeons latéraux grâce à des signaux hormonaux.
Méristème apical (SAM)
Région de cellules souches située au sommet des tiges, responsable de la formation continue des feuilles, des tiges et des fleurs.
Xylème et phloème
Les deux principaux tissus conducteurs de la plante : le xylème transporte l’eau et les minéraux ; le phloème distribue les sucres et nutriments.
Paroi cellulaire secondaire
Structure rigide renforcée de cellulose et de lignine, conférant aux tiges leur solidité, notamment après une taille ou un pliage.