Trouver un équilibre entre usage du cannabis et sécurité au travail : un défi à l’ère de la légalisation
Avec la légalisation du cannabis, les entreprises doivent repenser leurs politiques internes pour concilier sécurité, productivité et respect des droits des employés.
Depuis que le New Jersey a légalisé l’usage récréatif du cannabis en 2021, les employeurs naviguent en terrain incertain. Leur mission ? Garantir un environnement de travail sûr tout en respectant le droit des employés à consommer du cannabis en dehors de leurs heures de travail. Une tâche loin d’être simple.
En 2024, l’industrie du cannabis dans l’État a franchi la barre symbolique du milliard de dollars de chiffre d’affaires, soit une hausse de 25 % par rapport à l’année précédente. Un chiffre révélateur, selon Denis Connell, cofondateur d’Advanced Training Products (ATP) : « Lorsqu’un employeur me demande si le cannabis est un problème potentiel dans son entreprise, je lui réponds qu’il y a un milliard de raisons de penser que oui. »
De l’interdiction stricte à la prévention intelligente
Peu après l’adoption de la loi CREAMM, Connell et son associé Jim Coyle ont fondé ATP, une société spécialisée dans la gestion des risques liés à l’altération des capacités au travail.
« Nous ne sommes pas anti-cannabis », affirme Connell. « Nous privilégions une approche fondée sur la sécurité et conforme à l’esprit de la loi, qui mise sur la détection de l’altération plutôt que sur la stigmatisation de l’usage. »
Une position de plus en plus partagée par les employeurs, alors que les tests urinaires classiques révèlent une consommation ancienne mais ne permettent pas de détecter une altération en temps réel.
Politiques internes et nouvelles obligations
Lauren Iannaccone, avocate associée chez Connell Foley, rappelle que la loi permet toujours aux employeurs d’interdire l’usage, la possession ou la vente de cannabis sur le lieu de travail.
Mais en pratique, cela se complique. Le New Jersey impose désormais un test fondé sur un soupçon raisonnable et objectif pour prouver une altération des capacités en cours. Cela implique une évaluation physique reposant sur des signes observables, à effectuer idéalement par un expert formé.
« Sans preuve objective, toute sanction est juridiquement risquée », explique Iannaccone.
Tests de dépistage : un outil dépassé ?
Selon Lindsay Dischley, du cabinet CSG Law, de nombreuses entreprises retirent désormais le cannabis de leurs dépistages préalables à l’embauche et des tests aléatoires, car la substance peut rester détectable jusqu’à 90 jours après usage.
Cela amène à distinguer l’intoxication (présence de la substance) de l’altération des capacités (impact réel sur les fonctions cognitives). « Une personne peut consommer du cannabis un vendredi soir et être encore testée positive le lundi, sans être pour autant altérée », explique Joshua Bauchner, expert en droit du cannabis chez Mandelbaum Barrett.
Contrairement à l’alcool, il n’existe pas de « cannabis-testeur » fiable.
Usage médical : une zone grise juridique
Autre enjeu : la consommation à visée thérapeutique. Bien que le cannabis reste classé comme stupéfiant au niveau fédéral, le New Jersey le reconnaît comme traitement légitime. Des protections sont donc prévues par l’ADA (loi sur les personnes handicapées).
« Interroger un salarié à ce sujet peut poser de sérieux problèmes de confidentialité médicale », prévient Bauchner.
Un jugement rendu en décembre 2024 a cependant réduit le risque juridique pour les employeurs, en limitant le droit des salariés à engager une action en justice en cas de discrimination présumée.
WIRE : un expert obligatoire mais mal défini
La loi impose aux employeurs de désigner un WIRE (Workplace Impairment Recognition Expert), formé à détecter les signes d’altération.
Un dispositif séduisant en théorie, mais peu encadré dans les faits, déplore Dischley. « Comment former ces experts ? Comment distinguer une altération liée au cannabis d’un simple rhume ou d’un manque de sommeil ? »
Selon Bauchner, le système reste irréaliste pour les petites structures, où il est difficile de disposer de personnel formé et indépendant des superviseurs directs.
Vers un futur plus clair : vigilance et adaptation
La légalisation du cannabis n’est plus une hypothèse, mais une réalité durable. Pour les entreprises, cela signifie adapter les politiques internes, renforcer la formation et instaurer une communication claire.
« Il n’existe pas encore de solution parfaite », conclut Connell. « Mais on apprend à mieux poser les bonnes questions. »
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